“Moonage Daydream”, une déclaration d’amour sur grand écran
Étant un passionné de musique rock et en particulier des années 70, j’avais très envie d’aller voir Moonage Daydream. Sorti en salle le 21 septembre, ce film de Brett Morgen est annoncé comme un film documentaire sur la vie de David Bowie. Rock star, acteur, peintre, emblème d’une génération libérée, il est reconnu comme un génie musical par beaucoup.
Pourtant une question reste un mystère et ce malgré plusieurs documentaires à son sujet. Qui est véritablement David Bowie ? Est–ce seulement le véritable sujet de Moonage Daydream ? Ou est–ce, comme je l’ai vécu en visionnant ce film, un support pour une expérience, un vrai voyage, en David Bowie ? Dans son Art ? Une introspection personnelle ?
Moonage Daydream dure plus de deux heures. C’est dans l’ensemble une compilation d’images d’archives d’interviews, de concerts, de confessions, de couleurs et surtout de musique. On a affaire à une construction extrêmement particulière.
Le squelette du film ne suit pas de schéma narratif précis. En réalité, ce n’est pas l’histoire de sa vie, et c’est ce qui m’a le plus surpris en visionnant le film. Il s’interprète davantage comme une volonté de montrer l’ensemble de l’œuvre de Bowie à travers une œuvre unique. L’objectif de Brett Morgen était, à mes yeux, de mettre en avant pourquoi David Robert Jones est David Bowie et pourquoi il le touche autant. Ce premier choix est risqué mais intéressant. Les critiques négatives de ce film le désignent comme un drôle de mélange, comme un kaléidoscope d’archives dépourvu de sens. Certes la compréhension générale de la vie de Bowie est placée au second plan, mais au profit de thèmes et d’interludes musicales qui offrent à l’œuvre une couleur et une certaine sincérité. L’ensemble du film a une esthétique propre merveilleuse mais fidèle à la couleur et la noirceur de l’artiste selon ses périodes.
Le film s’ouvre sur un David Bowie au sommet de sa gloire avec les images du live mythique, qui donnera son nom au documentaire Moonage daydream. L’image est sublimée, les couleurs sont vives et les noirs sont très intenses. Bowie ressort vraiment comme un être–lumière, unique. La foule semble, elle, en noir et blanc ou enveloppée dans un voile monochrome. Brett Morgen insiste ici sur la popularité de Bowie, sur ses fans, sur l’état de transe de certain ou certaine en le voyant ou simplement en l’écoutant : Bowie, la rockstar, la légende.
A travers ce film, c’est comme si la musique était l’unique couleur dans un monde en noir en blanc. Ce ressenti est volontaire. Il est même parfois explicite avec des fonds noirs où les notes provoquent des taches de couleurs vives comme des feux d’artifices. Ce travail sur images, vrai choc visuel, est accompagné et donc dépendant d’un son nouveau. D’une manière générale, la BO est une sorte de ré-enregistrement de morceaux originaux agrémentés d’effets, comme s’il s’agissait de flashs d’appareils photos, de cris de fans. Parfois, les morceaux sont totalement déconstruits, Brett Morgen n’hésite pas à enlever des pistes, à en rajouter, à en remplacer. On ajoute des ensembles basses batteries, et certains instruments sont mis en avant comme la guitare ou le piano. Dans l’ensemble, l’enregistrement est centré sur la voix de Bowie qui ressort davantage, parfois même trop par rapport aux sonorités originales, ce qui place ses instrumentistes au second plan. Par ce mix inédit, des titres comme “Hallo Spaceboy” deviennent des créations musicales à part entière, propres au documentaire. Brett Morgen y exprime sa passion et tente de nous la transmettre. Les harmonies sont dans l’ensemble simplifiées, donc accessibles au plus grand nombre. Cette technicité et cette mise en avant de la voix de Bowie, au centre du mix, renforce la proximité et sa corrélation avec l’image le fait ressortir. Le son nous englobe. C’est fort, bruyant, c’est lourd mais entraînant.
Dans l’ensemble, ce travail du son et de l’image sont indissociables ; il renforce l’immersion. Les émotions sont explicites et communicatives. On ressent l’euphorie et l’excitation des fans, les tourments, l’agitation interne, et surtout le bouillonnement créatif de Bowie.
Le montage est très rapide, il y a peu de séquences longues. C’est un tourbillon récurrent d’images de live, de certaines scènes de film, de voyages, de fans, de back–stage et de moments parfois personnels. Chaque morceau nous entraine sur un thème propre à son œuvre ou sa personne, comme celui de la popularité, ou des périodes d’introspection et de doute artistique. Il est également question de bisexualité, de transidentité ou des divers personnages de Bowie comme on l’entend dans Ziggy Stardust, qui évoque sa peur de la schizophrénie.
Le documentaire traite chronologiquement trois grandes périodes de la vie de David. D’abord, sa période de succès remplie de personnages, de costumes, d’une forme de folie mais aussi caractéristique de beaucoup de timidité, d’insociabilité. On évoque aussi sa période de doute, d’addiction, puis son grand retour, les années 80, sa femme, son rapport à la religion. La musique laisse parfois place à des moments où Bowie prend la parole.
J’aimerais maintenant revenir sur une des interviews qui compose le documentaire et qui semble casser le rythme du film. Datant de 1973, Bowie se présente comme un collectionneur de personnalité. On l’interroge sur la religion, son rapport avec ses fans, son look ; le journaliste va jusqu’à demander si ses chaussures sont pour homme, femme ou pour les deux. Il remet en cause sa masculinité, sa virilité. David Bowie lui rétorque donc que bien qu’il ait connu de nombreux hommes, cela n’a aucun rapport avec ses chaussures. Inutile de préciser pourquoi ce moment est vraiment pesant.
Durant ces séquences-là, le montage ralentit, la couleur change ; lorsque Bowie parle, la distance accentuée par le travail de couleur disparaît, il semble plus proche de nous, plus humain. Bowie semble atteignable, vulnérable. Ici, c’est uniquement par ces réponses que Bowie ressort et nous apparaît comme un être génial. Ces questions de sexualité et d’identité sont à l’époque tellement avant–gardistes, mais aujourd’hui tellement d’actualité. Selon moi, par son courage durant cette interview oppressante, Bowie a permis à de nombreux adolescents en quête de repère de se libérer de tous ces codes sociétaux.
Moonage Daydream est donc plus que de la musique ; c’est l’introspection et les questions que David Robert Jones se posentdans la recherche de sa propre identité. Qui sommes–nous ? D’où venons–nous ? Qu’est–ce–que nous aimons ? Qui et pourquoi ? Qu’est–ce que l’art ? Des thématiques qui ne cessent de nous questionner à notre tour.
Les réponses qu’il donne étaient jusqu’ici utilisées pour tenter de comprendre qui est David Bowie. Ce film va plus loin et bouscule les codes du documentaire classique. Il tente lui aussi de nous donner une réponse mais nous invite à nous interroger sur nous-mêmes, tout en remerciant l’homme qu’était David Bowie. Ce documentaire, loin d’être une page Wikipédia, est un hommage à la musique, à l’art, aux artistes, et évidemment à Bowie.
Nicolas Barthélémy
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